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Après la mer. Quelques lignes d'un équipier.

  • Par Aléric de Gans
  • 16 juin 2016
  • 2 min de lecture

Venu naviguer à bord de Loussounga, Aléric de Gans a écrit ces très belles lignes. Je les partage.

De la mer je ne connais que le bord, où l'eau vient s'abattre en faisant des « C » qui moussent. Depuis la côte où je me tiens, elle passe pour une masse assez monstrueuse qui m'effraie plus qu'elle ne m'attire. Ses danses invisibles sous la surface sont les pièges qu'elle tend à des squelettes équipés de poumons. Là-bas, on s'y noie, emporté par les forces illisibles d'un élément qui nous tue. Pour m'approcher un peu de la bête, pour lui grimper sur le dos, j'avais besoin d'un guide, de quelqu'un qui puisse me parler d'elle comme je parle de la foule qui exulte et qui roule, émouvante conjugaison de misérables puissances fédérées pour affronter une même digue. Il me fallait une dramaturgie. Et bien sûr la mer n'en manque pas, avec tout ce monde qui s'affaire dans les ports et qui s'entête à la traverser, quoi qu'il en coûte. Ils sont nombreux les disparus, avalés avec leur bateau qu'ils aimaient tant et pour lequel ils avaient tout donné. Un bateau c'est l'éclat d'une vie – c'est la fierté de qui se prépare à vivre avec sa peur, ses inquiétudes et sa fatigue, des semaines durant. Je crois que les navigateurs – du moins, ceux qui ne sont pas encore des supports de communication pour la grande distribution et les compagnies d'assurance – ont plus que personne besoin de ne pas transiger. Quand on se lance dans l'aventure de la mer, on suit son envie dévorante d'éprouver les limites de l'humanité, au moyen de tout un tas de techniques, de connaissances, qui, le moment venu, on ne se fait pas d'illusions, ne pèseront pas lourd face aux vents et aux courants. « Le fait de vivre emmène obligatoirement dans des phases où l'on ne contrôle plus rien », a écrit un marin célèbre. « Il s'agit de résister. C'est moins dangereux de risquer que de subir. » C'est vrai : pour exister, il faut s'engager jusqu'à la nausée. De toute façon, on n'échappe pas à la houle. Il y aura toujours du gros temps, des mers bien formées, et des quarantièmes rugissants. On aura tous des moments terribles, des adversaires vicieux, sauf que le marin, lui, aura dansé dans la tempête, et qu'il sera ailleurs, dans une baie nouvelle et pleine de promesses.

Sur Loussounga l'Arménien, j'ai enfin quitté la côte et les lourdeurs de la vie terrestre. Dans la cabine au petit matin, une chanson passait : « Embrasse le danger quand il est là. » J'ai tenu la barre du bateau penché près du vent, et le soir, m'endormant contre la housse du spi trempé, j'ai décidé de faire de ma vie autre chose qu'une caisse enregistreuse. Mon océan n'a pas de fond, et mes boussoles sont des bouquins, mais le capitaine et moi on se comprend.

Aléric de Gans

Pour trouver d'autres écrits : www.presquepapier.com


 
 
 
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