Un retour d'Irlande, soldé par un demi-tour.
- vikenrenouard
- 27 août 2015
- 5 min de lecture
Quelques jours de repos seul sur Loussounga au port de Kinsale. Yohann, Théo et Erol ont repris l’avion dimanche dernier. Une petite fenêtre météo se dégage pour le retour vers la Bretagne. Ca souffle fort depuis le début de semaine, mais il semble qu'il soit possible de partir jeudi matin.
Mais pas plus tard, car ensuite, jeudi après-midi, le vent remonte avec de belles rafales à plus de 23 noeuds. Puis vendredi, il est prévu 30 noeuds. Le vent venant du Sud-Ouest, je devrais me retrouver au travers : à cette allure, le pilote automatique ne tiendrait surement pas, ce qui m'obligerait à barrer en continu ? Bof.
Mais si je pars jeudi matin et que j'arrive à me dégager assez rapidement, je serai alors déjà éloigné de la dépression qui passe sur l'Irlande. Tout devrait être bon pour la suite, avec des vent de 20 noeuds max vers les Scilly et inférieurs à 15 nds les jours d'après, en Manche.
Je prépare donc le bateau mercredi : le plein d'eau, le niveau d'huile moteur, nourriture, le plein de chocolat, je refais une couture qui a craqué sur le solent, etc.
Jeudi 27 Août, 10h.
Je quitte le ponton comme prévu. Me voyant seul à bord, un suèdois me propose très gentiment de l'aide pour sortir de ma place. Coup de main que je décline, voulant être autonome tant que possible. Le chenal, entre le port et la baie est assez long. Je me rends compte très rapidement que le pilote automatique ne fonctionne pas normalement. Demi-tour dans le chenal, je retourne m'amarrer à une bouée et je cherche à comprendre.
Jeudi, 11h30.
Je lis et relis la notice du pilote automatique et repars dans le chenal pour tenter de le re-régler. Rien à faire. Je retourne m'amarrer à la bouée. Le pilote automatique agit sur la barre en fonction du cap qu'on lui indique. Je démonte donc le capteur de cap. Rien à faire. Je comprends finalement que ce sont les outils métalliques, pas très loin du capteur, qui faussent toutes les informations transmises. Une bêtise qui m'a fait perdre 4h.
Jeudi, 14h.
Le vent est clairement monté, comme annoncé. Ca siffle dans le mât, alors que je suis pourtant assez abrité. Toujours amarré à la bouée devant le port, je mange un peu et me repose 20 minutes.
Jeudi, 15h.
Je quitte la bouée. Ils ne se sont vraiment pas trompés dans le bulletin météo, ca souffle bien bien bien. Bon ba quand faut y aller, faut y aller.
La grand voile est hissée, avec 1 ri d'emblée. Le bateau est déjà très gité alors que je ne suis même pas encore sorti du chenal.
Jeudi, 15h30.
Je choisis d'attendre d'être sorti du chenal, qui est relativement étroit, pour pouvoir hisser le solent. Je avance peu à peu dans ce chenal au près, sous grand voile un ri, avec le moteur en appui.
Celui-ci se coupe. Bizarre.
Je vire de bord. Il redémarre.
Rassuré, cela veut dire qu'il faut donc que je fasse le plein avec un des bidons de 10L que j'ai à bord. Le réservoir n’était rempli qu’au tiers : le bateau étant déjà assez gité, le gasoil n'arrivait pas jusqu'au moteur.
Je vide tant bien que mal un jerrican complet dans le réservoir. Ca bouge déjà beaucoup, j'en renverse dans le cockpit, qui devient rapidement une vraie patinoire....mais le moteur fonctionne à nouveau.
Je sors enfin du chenal, je souhaite dépasser assez largement la cardinal Nord qui en marque l'entrée, afin d'avoir assez d'eau à courir pour pouvoir hisser sans stress le solent.
La mer se forme de plus en plus. Ca ne rigole pas, même si le soleil apporte un semblant de réconfort. Je suis au travers, toujours sous grand voile un ri.
Jeudi, 16h.
Bon, il est temps de le hisser ce génois. Mais avant, il faudrait que je nettoie le cockpit. Ca glisse tellement que c'est la chute assurée. Pas envie de me blesser bêtement. Liquide vaisselle et brosse dans le fond du cockpit, scène de vie absurde au milieu de cette baie qui n'a décidément pas choisi d'être calme aujourd'hui.
Jeudi, 16h15.
C'est fait. Bon, alors, je le hisse ce génois? La plage avant du bateau est sans cesse balayée par les embruns.
Des petites déferlantes se forment un peu partout autour de Loussounga. J'en vois des plus grosses au loin. La houle prend le bateau de travers. Pas rassurant.
Je deviens peu à peu spectateur. Cette mer, je ne le connais pas encore assez. Les caisses du carré valdinguent et se retrouve par terre.
Une nuit à passer comme ça, à me faire tremper, au large de l'Irlande, en solo ? Ca peut le faire...mais ca donne pas bien envie. En fait, j'ai peur d'être dégouté une fois arrivé à la maison.
Jeudi, 17h15.
La mer continue à se creuser. Ca mouille. Col du ciré refermé jusqu’au nez, capuche sur la tête, une vague sur cinq vient me caresser le visage. Je contemple le spectacle mais n'agit plus. J’attends. Cette mer est belle…depuis la terre. Même la grand voile est salée. Je re-regarde la météo. J'ai été trop optimiste ? En fait, j'aurai encore au moins 20 noeuds toute la nuit et la journée du lendemain aux Scilly. Ca ne va pas se calmer aussi rapidement que ce que je pensais. Je suis parti trop tard à cause de cette histoire de pilote. Je vais jongler toute la nuit ? Le pilote tiendra ?
Une vague plus grosse que les autres s’invite jusque la table à carte. J'éponge.
Je regarde derrière. J’ai déjà fait quelques miles, je suis assez loin pour ne pas reconnaitre l’embouchure d’où je suis parti. Mais je peux encore faire demi-tour.
Jeudi, 17h20.
Bon, je le sens moyen là. Mais j’attends. Le bateau avance. J’observe.
Jeudi, 17h30.
Demi-tour. Cap sur ce maudit chenal. Je suis déçu. Mais soulagé. Bon, maintenant, où est-elle cette embouchure ? Point GPS, ok, c’est bon, je pense voir où c’est. Par contre, je suis désormais au près. Et là, pas le choix, je vais devoir le hisser ce génois, car je ne fais pas de cap sous grand voile seule et j’ai la cardinale Nord à laisser sur tribord. De toute façon, j’aurais du le faire bien plus tôt.
Jeudi, 18h.
Génois hissé. Le bateau est plus stable. Je tiens mon cap. Je sais où je vais. Ca va mieux. Musique à fond. Oh, ca va beaucoup mieux. Pourtant, au près, je m’en prends encore davantage sur la tronche. Mais je sais que je serai au chaud ce soir.
Jeudi, 19h15. Je passe la fameuse cardinale Nord qui marque l’entrée du chenal. Je me retrouve au portant. La mer est plus calme, mais le vent est toujours aussi présent. Encore sous solent et grand voile 1 ri, le speedo m’affiche jusqu’à 10,2 nœuds.
Jeudi, 19h45.
J’accoste. Toutes les voiles sont en vrac sur le pont. En ciré de la tête au pied, capuche sur la tête, alors qu’ici, tout est bien calme. Je lance avec plaisir mes amarres au suédois de tout à l’heure. On discute. Il me dit qu’un autre équipage a fait demi-tour hier avant même d’être sorti du chenal. Lui attendra dimanche pour partir.
